Justice climatique : tentatives de refroidir l’ambiance

En avril 2022, le Groupe d’experts intergouver-nemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiait ses dernières conclusions. Les constats établis par les trois groupes de travail du GIEC alertent sur la nécessité de changements immédiats afin de contenir le dérèglement climatique.

En même temps, la coupe du monde de football au Qatar approchait à grand pas. L’organisation d’un tel événement a conduit à la construction, dans un pays désertique, de stades de football climatisés, dont la pelouse est arrosée avec de l’eau de mer désalinisée, tout en méprisant les droits les plus élémentaires des travailleurs. Sa tenue précipite le déplacement de 1,2 million de personnes et mobilise une logistique titanesque pour soutenir cette démographie éphémère au Qatar et aux pays avoisinants. D’ailleurs, des vols opéreront pour transporter les fans des pays d’accueil vers le Qatar à plusieurs reprises pour assister aux différents événements. Le bilan climatique de cet événement est simplement décevant. Le sujet du climat est large, il incorpore des questions sur les causes du dérèglement climatique, les températures, les cycles de l’eau et de l’air, les effets sur le vivant et les solutions à apporter. La justice implique une multitude d’acteurs institutionnels et judiciaires aux niveaux tant national qu’international. Aussi, la justice nécessite une part d’équité.

La question de l’environnement est présente en droit international bien avant la prise de conscience collective de la question climatique. Mais, comme l’est souvent le cas en droit international, l’évolution demeure fragmentée, lacunaire et lente. Par exemple, l’Accord du 30 mai 1893 entre la Grande-Bretagne et la Russie sur la protection des otaries dans le Pacifique Nord est un des premiers accords internationaux qui vise la protection d’espèces animales menacées. Cent ans plus tard, le déploiement de conventions internationales s’accélère de manière impressionnante. En l’espace de dix ans, plus d’une dizaine de conventions, qui abordent la question de l’environnement de différents angles, sont adoptées1. Toutes ces conventions ont des forces obligatoires variables et divers mécanismes d’application et de contrôle. Judiciairement, le contrôle de ces différentes conventions sur le climat revient souvent à des cours d’arbitrage ou à la Cour Internationale de Justice. Parmi les conventions référencées2, il n’y a que la convention de Montego Bay3 qui instaure son propre organe judiciaire, le Tribunal International du Droit de la Mer, compétent pour l’application de la convention, incluant la conservation et la gestion des ressources biologiques marines ainsi que la protection et la conservation du milieu marin. Malgré cette sectorisation de la question climatique, des principes de droit international se dégagent des conventions et de la maigre coutume qui existe. Certains méritent d’être cités comme l’obligation de prévention, de respect des droits à l’environnement des autres États, la responsabilité différenciée selon les niveaux de développement et du principe de pollueur-payeur. D’autres textes internationaux plus récents affirment le droit à un environnement vivable, comme la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du 13 septembre 2007. Cette Déclaration, qui est une résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies non obligatoire au sens du droit international, reflète les évolutions des mentalités en intégrant la question climatique aux enjeux de survie, de vie et de culture humaines.

Certains de ces textes internationaux ne trouvent application qu’en ayant des relais juridiques nationaux. Au Canada, le projet de loi C-15, adopté le 25 mai 2021, intègre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones au droit interne. Le Canada adopte aussi ses propres lois en matière de protection de l’environnement4. Au Québec, le droit environnemental est l’objet de lois spécialisées5. Mais il y a aussi des principes plus larges reconnus en droit commun6 sous l’angle des relations de voisinage. D’un point de vue judiciaire, les tribunaux compétents sont, au niveau fédéral, la cour fédérale, et au niveau provincial, les tribunaux de droit commun ainsi que le TAQ en fonction de la loi en question. Cette fragmentation juridique et judiciaire des questions climatiques peut être vue comme un obstacle à l’accomplissement de l’objectif de préservation du climat car elle n’est pas propice à l’émergence d’une approche globale et holistique du problème. Elle peut être aussi vue comme le seul moyen d’initier les avancées dans un domaine où l’inaction est un formidable ennemi.

En synthétisant la question au maximum, ces principes et mécanismes juridiques précédemment évoqués ont une seule conséquence, celle de limiter, moduler et conditionner le droit de propriété. Ils restreignent le droit de propriété si nous le comprenons comme le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue. Cette définition est le fruit du contexte de réaction à l’ancien régime au 18ème siècle en Europe. Notre rapport humain à l’environnement passe par le filtre de la propriété. Changer ce rapport nécessite un changement de notre appréhension de la propriété. De nos jours, le droit de propriété est de moins en moins absolu, et peut-être, tant mieux si ça l’est. Il n’est plus permis d’utiliser une chose de manière qui nuit au climat, qui réduit la biodiversité, qui extrait excessivement certaines ressources.Ce constat est valable pour les sujets du droit international et pour les personnes morales et privées en droit interne.

Dans l’optique de résoudre la question du dérèglement climatique, il y a une idée ancienne qui semble connaître un nouvel essor: la théorie des communs. Selon cette théorie, qui est tant économique que juridique, il y a des biens qui sont insusceptibles d’appropriation, sur lesquels les populations ont acquis un droit d’usage et dont la gestion relève de ces mêmes populations. Les communs ont été reconnus dès l’antiquité romaine, sous l’appellation de res communes, jusqu’au “code Napoléon” de 1804. Des travaux d’économistes7 montrent qu’une gestion collective des ressources par les pouvoirs locaux et les utilisateurs peut être le meilleur moyen pour assurer leur pérennité et renouvellement. Le dialogue et l’implication des parties concernées sont des outils qui permettent d’atteindre une forme d’équité entre les différentes parties. Sans cette équité, la justice serait difficilement reconnaissable et l’action pour lutter contre le dérèglement climatique deviendra plus difficile. Il reste à voir si le gouvernement va respecter son engagement de réduction de 37,5% des émissions des gaz à effet de serre8, par rapport aux niveaux de 1990.

  1. Convention des Nations unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982; Convention de Vienne sur la protection de la couche d’ozone, Vienne, 22 mars 1985; Protocole de Montréal, Montréal, 16 septembre 1987; Convention sur les effets transfrontières des accidents industriels, Helsinki, 17 mars 1992; Convention sur la diversité biologique, Rio De Janeiro, 5 juin 1992; Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, New York, 9 mai 1992; et bien d’autres
  2. Ibid.
  3. Articles 287 et 288, Convention des Nations unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982
  4. Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (L.C. 1999, ch. 33); Loi sur les espèces en péril (L.C. 2002, ch. 29)
  5. Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ c Q-2; Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection, LQ 2009, c 21
  6. Articles 976, 981, 982 Code Civil du Québec
  7. Elinor Ostrom, “A General Framework for Analyzing Sustainability of Social-Ecological Systems”, in Science, Vol 325, 24 Juillet 2009, page 419 : “he prediction of resource collapse is sup-ported in very large, highly valuable, open-access systems when the resource harvesters are diverse, do not communicate, and fail to develop rules and norms for managing the resource (5) The dire predictions, however, are not supported under con- ditions that enable harvesters and local leaders to self-organize effective rules to manage a resource or in rigorous laboratory experiments when subjects can discuss options to avoid overharvesting (3, 6).”
  8. Mélanie Meloche-Holubowski et al., “Comparez les plateformes électorales des partis”, 30 août 2022, ( https://ici.radio-canada.ca/info/2022/elections-quebec/comparateur-programmes-plateformes-partis-politiques-promesses-enjeux/), consulté le 1 novembre 2022