Les facteurs ESG, la gouvernance d’entreprise et l’écoblanchiment : où en sommes-nous?

« ESG : trois lettres qui ne sauveront pas la planète1 ». Tel est le titre de la page couverture du magazine britannique The Economist, paru en juillet dernier. À l’heure où la planète fait face à des défis climatiques inégalés au cours de l’histoire moderne, les entreprises sont sous pression et sont de plus en plus incitées à mettre la main à la pâte. Elles sont amenées à poser des actions concrètes pour contribuer à la lutte contre les changements climatiques, à revoir l’acceptabilité sociale de leurs activités et les valeurs qu’elles incarnent auprès de leurs employé.e.s ainsi qu’à étoffer leur gouvernance d’entreprise (« GE »). Il est maintenant attendu des grandes entreprises qu’elles rendent publiques leurs actions ESG et qu’elles se conforment à l’encadrement juridique, le tout dans le but d’éviter le phénomène de l’écoblanchiment (« greenwashing »).

Les enjeux ESG sont apparus pour la première fois lorsqu’en 2006, les Nations Unies publiaient les « Principes pour l’investissement responsable », suivant l’élaboration de son rapport « Who Cares Wins », publié un an plus tôt. Le rapport émettait des recommandations du secteur financier pour mieux intégrer les questions ESG dans les marchés de capitaux et le monde corporatif plus globalement. En 2007, la Bourse de New York créait le Sustainable Stock Exchange Initative2. En date d’aujourd’hui, les facteurs ESG ont parcouru un long chemin depuis 2006. Les facteurs ESG sont en passe d’atteindre 50 000 milliards $ US d’actifs sous gestion (AUM) d’ici 20253.

Il importe de comprendre la signification d’Environnement, Social et Gouvernance. Le E tient compte de l’utilisation des ressources naturelles par une entreprise et l’effet de ses activités sur l’environnement, tant dans ses activités directes que dans ses chaînes d’approvisionnement. Le S tient compte des relations de l’entreprise avec ses actionnaires, ses administrateurs.trices, ses dirigeant.e.s et ses employé.e.s, en promouvant des thèmes éthiques et socialement acceptables, notamment la diversité, l’inclusion, la justice sociale et l’éthique d’entreprise. Enfin, le G réfère aux facteurs de GE de la prise de décision, de l’élaboration des politiques par les parties prenantes à la répartition des droits et des responsabilités entre les différent.e.s participant.e.s des entreprises, y compris le conseil d’administration (« le CA »), les gestionnaires, les actionnaires et les parties prenantes.

En ce qui a trait au cadre législatif et règlementaire, au Québec, seule une ligne directrice sur la GE a été adoptée par l’Autorité des marchés financiers (« l’AMF »), dans laquelle il n’est pas fait expressément mention aux facteurs ESG. La ligne directrice s’applique entre autres aux assureurs de personnes et de dommages ainsi qu’aux fiducies provinciales. L’AMF désire s’assurer que les institutions financières (« IF ») respectent des saines pratiques de GE, notamment en décrivant les rôles et responsabilités attribuées au CA et à la haute direction (« HD »). L’AMF demande aux IF d’élaborer un cadre de gouvernance (« CG ») qui établit les politiques, procédures et stratégies devant être mises en place par l’IF. Le CG élabore une structure opérationnelle sur laquelle se fonde le CA et la HD pour s’assurer que l’IF puisse appliquer les principes de saine gouvernance, notamment en établissant trois lignes de défense définissant les paliers décisionnels de la gestion des risques et de contrôle. Au niveau fédéral, les banques et les fiducies fédérales sont régies par la Ligne directrice sur la gouvernance d’entreprise du Bureau du surintendant des institutions financières (« BSIF ») qui est similaire en termes de contenu à celle de l’AMF.

Les législations du Québec et du fédéral ne comportent ainsi pas, à ce jour, d’exigences propres aux facteurs ESG. Cependant, le projet de loi C-97, adopté en 2019, introduit des modifications à la Loi canadienne sur les sociétés par actions4 qui obligent les CA de sociétés par actions à divulguer certaines informations à leurs actionnaires, notamment des informations relatives à la diversité au sein du CA et dans les rôles HD.

De nombreuses entreprises préfèrent divulguer volontairement dans leurs rapports annuels et leurs circulaires leurs progrès en matière d’investissement, d’embauche et de décisions respectant les normes ESG. Les facteurs ESG deviennent de plus en plus importants dans le succès d’une entreprise à attirer les employé.e.s, atout qui peut s’avérer majeur dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre. Les milléniaux constituent désormais le principal groupe démographique, représentant 34 % de la main-d’œuvre actuelle, tandis que la génération Z représente 21 %5. Ces groupes démographiques accordent une importance particulière aux questions abordées par les facteurs ESG.

Même si les facteurs ESG sont maintenant assez bien connus, de façon paradoxale, ceux-ci sont encore peu encadrés par la législation et la règlementation. Dans certains cas un flou existe encore.

Certaines entreprises peuvent tenter de profiter de la situation, mais certaines se font accuser d’écoblanchiment (« ÉB »), lequel se définit comme suit : « utilisation fallacieuse d’arguments faisant état de bonnes pratiques écologiques dans des opérations de marketing ou de communication ». Les scandales d’ÉB ont éclaboussé plusieurs grandes entreprises internationales et canadiennes. Un exemple classique d’écoblanchiment est celui de Volkswagen, qui, en 2015, a admis avoir triché aux tests d’émissions en équipant plusieurs véhicules d’un dispositif « défectueux », doté d’un logiciel capable de détecter le moment où le véhicule est soumis à un test d’émissions et de modifier ses performances pour réduire le niveau d’émissions6. Pour contrer ce phénomène, plusieurs cadres de travail ont vu le jour pour aborder les facteurs ESG et indirectement documentent les investissements intégrant les facteurs ESG et le phénomène de l’ÉB à l’aide de plusieurs outils, tels que le Global Reporting Initiative, le Carbon Disclosure Project et le Taskforce on Climate-related Financial Disclosures7. Pour répondre au nombre croissant d’investisseurs ESG et à la demande croissante de données, les agences de notation fournissant des indices ont créé leurs propres notations pour évaluer les facteurs ESG. Les quatre principales agences de notation ESG qui dominent le marché actuel sont MSCI, Sustainalytics, RepRisk et la nouvelle agence ISS8.

Aujourd’hui, l’investissement ESG a atteint un tel niveau pouvant considérablement accélérer la transformation du marché pour le mieux. L’ÉB reste cependant la plus grande menace à la montée en puissance des facteurs ESG au sein du monde des affaires. Les entreprises et les investisseurs jouissant d’une influence et d’un pouvoir croissants, leurs actions et leurs décisions façonneront de plus en plus l’avenir des facteurs ESG.

  1. « ESG should be boiled down to one simple measure: emissions – ESG: Three letters that won’t save the planet », The Economist, 21 juillet 2022.
  2. Georges Kell, « The Remarkable Rise Of ESG », Forbes, 11 juillet 2018.
  3. Kelly Anne Smith et Benjamin Curry, « Greenwashing And ESG: What You Need To Know », Forbes, 25 août 2022.
  4. La modification n’est toujours pas entrée en vigueur.
  5. Betsy Atkins, « Demystifying ESG: Its History & Current Status », Forbes, 8 juin 2020.
  6. Jeff Plungis, « Volkswagen emissions scandal: Forty years of greenwashing – the well-travelled road taken by VW », The Independent, 25 septembre 2015.
  7. Supra, note 5.
  8. Id.