L’enfant, un sujet de droit pas comme les autres

La justice sociale est un concept large. Traditionnellement, cette notion fait référence à la lutte contre les inégalités sociales1. Il est toutefois possible de constater une évolution de cette notion sous l’angle de la protection des personnes vulnérables et de la reconnaissance de la dignité individuelle2. Ainsi, notre société serait juste dans la mesure où elle se préoccuperait de la protection de groupes en situation de vulnérabilité et lutterait pour la reconnaissance de leurs droits.

L’enfant est au cœur de cette deuxième vision de la justice sociale. À ce sujet, l’on perçoit, tant en droit international qu’en droit canadien et québécois, une tendance vers une véritable reconnaissance de l’enfant en tant que sujet de droit.

UNE RECONNAISSANCE PROGRESSIVE DES DROITS DE L’ENFANT EN DROIT INTERNATIONAL
Une reconnaissance générale de la nécessité de protéger les enfants par des lois peut être constatée dès le 19e siècle dans plusieurs États3. En revanche, ce n’est qu’au 20e siècle que seront adoptés des textes internationaux reconnaissant des droits spécifiques aux enfants. L’aboutissement de ce processus sera l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant (« CDE ») en 1989, ratifiée par le Canada en 19914. Ce traité sera le premier texte contraignant en matière de droit des enfants à l’échelle internationale5. Avec 193 États parties, il constitue le traité le plus ratifié de l’histoire6. Surtout, la CDE reconnait formellement le critère fondamental de l’intérêt supérieur de l’enfant7, désormais bien ancré dans notre droit.

La particularité de la CDE, c’est qu’elle vient concilier deux visions de l’enfant qui pourraient sembler contradictoires8. D’un côté, elle souligne l’importance de protéger l’enfant de manière spéciale en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle9. De l’autre, elle le reconnait comme un individu à part entière avec ses propres droits et libertés10. Par exemple, elle énonce que l’enfant a le droit d’être entendu dans toute procédure judiciaire qui le concerne, soit directement, soit par un représentant11.

En réalité, cette dichotomie vient confirmer que l’enfant est bel est bien un sujet de droit; simplement, il n’est pas un sujet de droit comme les autres. Cette vision de l’enfant sera le catalyseur de nombreuses réformes législatives, notamment au Québec.

REGARD SUR UNE RÉFORME RÉCENTE EN MATIÈRE DE DROITS DE L’ENFANT AU QUÉBEC
Avant même que la CDE n’ait vu le jour, le Québec avait reconnu à certains égards que l’enfant jouit de droits et libertés qui lui sont propres12. Mais, encore aujourd’hui, notre droit évolue pour tenir compte de cette réalité. L’exemple le plus récent est sans doute la Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil13 (« la Loi 22 »), adoptée le 7 juin 2022. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse y notera d’ailleurs une intention claire de « rendre effective la reconnaissance de l’enfant comme titulaire de droits »14. Voici quelques exemples.

L’admissibilité à l’aide juridique gratuite
Parmi les grandes réformes apportées par la Loi 22, soulevons d’abord l’octroi de l’aide juridique gratuite à tout enfant pour tous les services couverts, peu importe ses moyens financiers15. Cette nouveauté s’inscrit dans la logique de la CDE voulant que les enfants puissent participer aux décisions qui les concernent16.

Le droit à la connaissance de ses origines
Autre réforme majeure, la Loi 22 vient enchâsser le droit à la connaissance des origines dans la Charte des droits et libertés de la personne17. La doctrine l’avait d’ailleurs décrit comme un droit qui « appartient à l’enfant », lequel doit pouvoir « s’approprier tous les pans de son histoire »18.

La Loi 22 vient également élargir ce droit en matière d’adoption. Par exemple, à compter du 8 juin 2024, les enfants adoptés âgés de 14 ans et plus pourront, à certaines conditions, obtenir des informations et documents en lien avec leurs origines, dont leur nom d’origine, une copie de leur acte de naissance primitif et les noms de leurs grands-parents d’origine19. Les enfants de moins de 14 ans pourront également le faire, mais avec l’accord de leurs parents ou leur tuteur20.

Les relations avec les grands-parents
La Loi 22 a également entrainé une réécriture complète de l’article 611 du Code civil du Québec21. Cette disposition prévoyait initialement que les parents d’un enfant ne pouvaient pas faire obstacle aux relations avec les grands-parents sans motifs graves. Son libellé avait pour effet de créer une présomption selon laquelle il est dans l’intérêt de l’enfant d’entretenir des relations avec ses grands-parents.

La Loi 22 propose un changement de perspective. Désormais, ces relations pourront être maintenues uniquement si elles sont dans l’intérêt de l’enfant22. De plus, la volonté de l’enfant âgé de 10 ans ou plus aura un impact important sur le maintien de ces relations23. D’ailleurs, si l’enfant est âgé de 14 ans ou plus, il peut décider de mettre fin à ces relations sans formalité24.

Ainsi, dans plusieurs sphères de sa vie, l’enfant n’est plus un individu passif qui se voit imposer des décisions qui le concernent. Il peut y jouer un rôle actif, voire parfois décisif.

L’ÉDUCATION JURIDIQUE DE L’ENFANT : UNE ÉTAPE INCONTOURNABLE DANS L’ATTEINTE D’UNE JUSTICE SOCIALE
Pour que l’enfant puisse pleinement exercer ses droits, encore faut-il qu’il les connaisse. L’éducation juridique trouve alors toute sa pertinence.

Fort de ce constat, UNICEF Canada a créé une affiche qui explique les articles de la CDE en langage clair, adressée aux enfants.

Par ailleurs, plusieurs organisations se consacrent à la vulgarisation de droit et au renforcement des connaissances et compétences juridiques des enfants. Au Québec, songeons au site d’éducation juridique d’Éducaloi, qui offre de nombreuses activités et ressources pour initier les jeunes au droit. Le Bureau international des droits des enfants met également plusieurs projets en œuvre pour développer les connaissances et compétences juridiques des enfants.

Au fond, sensibiliser les enfants à leurs droits, c’est les préparer à devenir, à leur tour, des acteurs de la justice sociale. Ainsi, pour reprendre les termes de la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous, c’est grâce à l’éducation que l’individu devient capable de « défendre la cause de la justice sociale ».

  1. À ce sujet, voir : Julie Noël, « Regard sur la justice sociale à travers la situation des mères qui ont un enfant placé par les services de protection de l’enfance » (2018) 35 :2 Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social, en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/cswr/2018-v35-n2-cswr04485/1058482ar/.
  2. À ce sujet, voir : Axel Honneth, « Reconnaissance et justice » (2002), 38 Le Passant ordinaire, en ligne : http://www.passant-ordinaire.org/revue/38-349.asp ; Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale? Reconnaissance et redistribution, La Découverte, 2011.
  3. Voir, par exemple, la Loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers en France.
  4. À noter toutefois qu’il l’a ratifié avec deux réserves. À ce sujet, voir : Jean-François Noël, « La Convention relative aux droits de l’enfant » (2015), en ligne : https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/lf-fl/divorce/crde-crc/conv2a.htm.
  5. Selon le principe Pacta sunt servanda en droit international public, un traité en vigueur lie les parties qui l’ont ratifié: Convention de Vienne sur le droit des traités (1980) R.T. Can. No 37, art. 26.
  6. Supra, note 4.
  7. Convention relative aux droits de l’enfant, Résolution n° 44/25, Doc. AGNU, c. 3, 44e session (1989), en vigueur au Canada depuis le 12 janvier 1992 [CDE].
  8. Supra, note 4.
  9. CDE, supra, note 7, préambule.
  10. Ibid.; Voir notamment : CDE, supra, note 7, art. 12, 13 et 14.
  11. CDE, supra, note 7, art. 12.
  12. Par exemple, dès 1980, le principe de l’intérêt de l’enfant et son droit d’être entendu dans les procédures qui le concernent sont inscrits dans le Code civil du Québec.
  13. Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, LQ 2022, c 22 [Loi 22].
  14. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, « Notes de la présentation sur le projet de loi 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille » (1erdécembre 2021), en ligne : https://www.cdpdj.qc.ca/fr/actualites/reforme-droit-famille-notes.
  15. Loi 22, supra, note 13, art. 128.
  16. CDE, supra note 7, art. 12 ; voir aussi Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, « Mémoire à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale – Projet de loi n° 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil » (janvier 2022), en ligne : https://cdpdj.qc.ca/storage/app/media/publications/memoire-reforme-droit-famille.pdf.
  17. Loi 22, supra, note 13, art. 138.
  18. Comité consultatif sur le droit de la famille, Alain Roy (prés.), Pour un droit de la famille adapté aux réalités conjugales et familiales, Québec, Ministère de la Justice du Québec, 2015, p. 195, en ligne : https://www.justice.gouv.qc.ca/fileadmin/user_upload/contenu/documents/Fr__francais_/centredoc/rapports/couple-famille/droit_fam7juin2015.pdf.
  19. Loi 22, supra, note 13, art. 93.
  20. Ibid.
  21. Loi 22, supra, note 13, art. 113.
  22. Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 611.
  23. Ibid.
  24. Ibid.