Le  « droit à la déconnexion » au Québec : légiférer ou sensibiliser?

Déjà objet de nombreux débats avec l’émergence des nouvelles technologies, la frontière entre vie privée et vie professionnelle est généralement plus floue encore depuis les restrictions introduites durant la pandémie de COVID-19. Le droit à la déconnexion, ou le droit de ne pas être engagé dans des conversations professionnelles par courriel, téléphone, visioconférence, message texte, ou autres, en dehors des heures de travail, s’impose comme une des solutions pour briser cet engrenage.

L’hyperconnectivité des travailleur.se.s a notamment fait l’objet d’une étude de l’Association américaine de psychologie1 publiée en 2017, laquelle mettait en lumière le fait que plus de 65% des personnes interrogées jugent nécessaire pour leur santé mentale de se déconnecter de façon périodique. Près d’un tiers des personnes interrogées disent consulter régulièrement leurs courriels de travail durant leurs congés et y attribuent un stress mental.

LA VIOLENCE CONJUGALE

À l’étranger
Certains pays ont commencé à légiférer pour concrétiser le droit à la déconnexion.

La France a été le premier pays à officiellement faire le saut 2017 en modifiant son Code du travail, prévoyant désormais la mise en place de mesures d’encadrement de l’utilisation des outils numériques pour le plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion.

Cette réforme est toutefois critiquée pour son manque de « mordant », le Code du travail ne prévoyant aucune sanction en cas de manquement ou d’omission par un employeur quant à son obligation d’intégration du droit à la déconnexion dans les politiques de l’entreprise.

L’Italie, l’Espagne, l’Irlande, où un devoir de respecter le droit à la déconnexion des autres est législativement instauré, et les Philippines notamment ont emboîté le pas.

Au Canada
Depuis octobre 2020, le Gouvernement du Canada mène des consultations pour introduire un droit à la déconnexion
au niveau fédéral2.

Le 25 octobre 2021, l’Ontario a déposé le projet de loi 673 prévoyant une série de mesures pour les travailleur.se.s, y compris l’obligation pour les employeurs de 25 employé.e.s ou plus d’élaborer des politiques de déconnexion du travail. Bien que ce projet de loi ne précise pas ce qui devra être inclus dans ces politiques, le communiqué de presse du gouvernement précise qu’il pourrait notamment être question de fixer un délai raisonnable pour répondre à des courriels du bureau, mais aussi encourager les employé.e.s à activer la notification d’absence lorsqu’ils ne travaillent pas4.

Au Québec
En 2018 au Québec,
  le projet de loi n° 1097, Loi sur le droit à la déconnexion5, a été déposé par Québec solidaire, mais n’a pas connu de suite. À l’instar du droit français, ce projet de loi visait notamment à instaurer une obligation légale de l’employeur d’adopter une politique de déconnexion en dehors des heures de travail et d’assurer le respect du temps de repos des salarié.e.s.

Cela étant, face à la normalisation du télétravail et l’hyperconnectivité qui y est souvent associée, et à défaut de législation expresse et spécifique, le droit à la déconnexion pourrait être reconnu notamment au travers des protections légales existantes pour les salarié.e.s ou, plus généralement, du droit au respect de la vie privée, de la santé et de l’intégrité physique des travailleur.se.s.

En effet, la Loi sur les normes du travail (« LNT ») prévoit entre autres le droit des salarié.e.s de refuser de travailler au-delà d’un certain seuil dépassant les heures habituelles de travail ou sans un certain préavis, le droit à un repos hebdomadaire d’au moins 32 heures consécutives, le droit à des pauses-repas, le droit de s’absenter pour divers motifs privés, etc.   

Le Code civil du Québec et la Loi sur la santé et la sécurité du travail imposent également des obligations aux employeurs quant à la protection des conditions physiques et sociales de leurs employé.e.s.

Finalement, la Charte des droits et libertés de la personne protège de façon quasi constitutionnelle la vie privée ainsi que des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent la santé, la sécurité et l’intégrité physique de toute personne.

SOLUTIONS DE MISE EN OEUVRE DU DROIT À LA DÉCONNEXION : VERS UN PROCESSUS DE SENSIBILISATION ET DE CHANGEMENT DE CULTURE?

Bien qu’envisagé comme une des solutions au besoin de rééquilibrage entre la vie privée et la vie professionnelle, certaines critiques d’une légifération du droit à la déconnexion y voient plusieurs enjeux, notamment:

  • Le droit à la déconnexion en dehors des heures habituelles de travail ne doit pas entrer en contradiction avec les avantages de flexibilité qu’offre le télétravail;
  • À l’inverse, imposer des politiques de non-connexion au-delà de certaines heures pourrait avoir pour effet que les employé.e.s se conforment plus strictement aux heures de travail et se ferment à certains besoins de flexibilité.

Cela étant, et proportionnellement aux spécificités de chaque milieu de travail, certaines mesures pourraient être mises en place dans les structures professionnelles:

  • privilégier la méthode de transmission différée des courriels et encourager les employé.e.s à se poser la question de savoir si leur sollicitation peut attendre le lendemain ou le retour de congés de leur collègue et limiter aux urgences l’envoi de courriels et messages textes en dehors des heures habituelles de travail;
  • selon les milieux de travail, configurer les logiciels professionnels pour restreindre l’accès aux courriels en dehors des heures habituelles de travail;
  • instaurer des instants de « pause » de réunions virtuelles à certains moments pour favoriser des périodes de production et de concentration différentes;
  • déconseiller, sauf circonstances exceptionnelles, les réunions ou appels durant les pauses-repas;
  • ajouter une note au bas des courriels des employés indiquant à leur interlocuteur qu’il faut s’attendre à ce que, en dehors de l’horaire habituel, ceux-ci répondent peu ou pas.
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