Récent impact de la technologie sur la pratique du droit criminel

Il va sans dire que la pratique du droit reste depuis longtemps figée dans le temps. Au quotidien, des centaines de documents manuscrits sont utilisés par les différents intervenants du système judiciaire. On pense aux procès-verbaux remplis par les greffier.ère.s, aux désignations d’avocats à déposer aux dossiers de la cour, à la liasse de feuilles imprimées représentant la divulgation de la preuve. Les avocat.e.s doivent aussi se déplacer vers les salles de cour où ont lieu l’audience de leurs clients. Un café à la main et une valise remplie de papiers et de crayons, ils sont prêts à entamer leur journée. L’implantation de nouveaux procédés technologiques a récemment fait évoluer cela.

La pandémie a forcé le gouvernement à accélérer l’installation des outils technologiques dans les palais de justice: les écrans de visioconférence dans la majorité des salles de cour, les applications de communication collaborative donnant accès aux audiences, le greffe numérique pour le dépôt des documents, et bien plus. La façon de pratiquer la profession d’avocat.e criminaliste est donc en proie à de nombreux changements technologiques suite à l’imposition de mesures sanitaires en vue de limiter la propagation de la Covid-19. Voici une liste non exhaustive des avantages et désavantages de cette lente, mais nécessaire transition à l’ère numérique.

LA VISIOCONFÉRENCE
Il est de pratique courante que les avocat.e.s de la défense représentent des accusé.e.s dans différents districts judiciaires chaque jour. Avant l’implantation d’un système de visioconférence, chacun devait se déplacer à travers les quatre coins du Québec pour assurer une représentation adéquate de leurs clients devant les tribunaux. Maintenant, ces mêmes représentations à la cour peuvent être faites dans le confort de leur bureau. Ce nouvel outil technologique permet de couvrir plusieurs districts judiciaires dans une même journée, et donc d’être plus efficace. Certains palais de justices se sont même conformés à cette nouvelle réalité en ajoutant aux rôles une plage horaire précise pour les avocat.e.s utilisant la visioconférence pour faire leurs représentations, et ainsi leur permettant une priorité de passage et une meilleure gestion de leur temps.

Bien que son implantation soit dispendieuse, ce nouveau dispositif technologique permet aux avocat.e.s de réduire leurs coûts, notamment en évitant de nombreux déplacements. De plus, on constate un coût environnemental à la baisse grâce à ce changement, car l’utilisation des voitures entre les districts est moins fréquente et pas toujours essentielle.

L’ajout de la visioconférence permet de sauver du temps, de longs déplacements sur les routes et d’augmenter la sécurité des palais de justice. En installant ces systèmes dans les établissements carcéraux et les postes de police, on permet aux personnes détenues d’être présentes à leur cause de manière virtuelle. On évite par le fait même de nombreux transports d’accusé.e.s entre le lieu où ils ou elles sont détenu.e.s et les palais de justice pour leurs causes, que ce soit une comparution, une enquête sur remise en liberté, etc. Également, ce changement permet d’éviter des fouilles intrusives aux accusé.e.s, ceux-ci devant s’y soumettre avant chaque transport.

Finalement, assister à une audience en ligne est une tâche simple pour les avocat.e.s et autres intervenants du système judiciaire. Toutefois, plusieurs étapes doivent être réalisées pour qu’une personne du public ou un.e journaliste voulant y assister soit admis à la séance virtuelle. Est-ce réellement un respect du principe voulant que toutes les audiences, à quelques exceptions près, soient publiques?

LES EFFETS DU PASSAGE DEVANT LA COUR
Les outils technologiques permettent aux plaignant.e.s ou personnes vulnérables de témoigner en dehors de la présence des accusé.e.s. Toutefois, que ce soit en poursuite comme en défense, le contre-interrogatoire est un outil essentiel à la recherche de la vérité. Avec l’implantation d’outils permettant la présence virtuelle à la cour, certains témoins n’ont plus à se déplacer et peuvent rendre un témoignage à l’extérieur des murs des palais de justice. Il n’est pas toujours évident pour un.e avocat.e de poser des questions afin de tester la crédibilité de quelqu’un, encore moins à travers un écran. Il est encore plus difficile pour un.e juge de déterminer de la crédibilité à accorder à ce témoin qui n’a pas la pression inhérente de la salle de cour et de sa froideur, et des regards de tous, mais surtout du sien. Le serment de dire la vérité perd grandement de son effet lorsqu’il n’est pas donné en présence physique du ou de la juge. L’environnement dans lequel le témoignage est rendu est hors du contrôle de la cour, et il est impossible de savoir si des notes sont devant les yeux du témoin ou si d’autres personnes sont présentes dans la même pièce.

Aussi, l’effet dissuasif du passage devant un.e juge n’est pas le même lorsqu’un plaidoyer de culpabilité est enregistré par vidéo, en direct de la maison, du bureau de l’avocat.e ou même de l’établissement carcéral. Le manque de rigueur et de sérieux de certain.e.s accusé.e.s peut les amener à banaliser l’impact de leur passage devant les tribunaux. La peine rendue suivant la déclaration de culpabilité perd son incidence, ce qui est pourtant un des objectifs principaux du droit criminel.

SURCHARGE DE TRAVAIL ET DÉCONNEXION
Afin de favoriser le télétravail, les poursuivants ont récemment tous été munis de téléphones portables. Les communications avec les avocat.e.s de la défense sont ainsi plus faciles et rapides : une réponse à une simple question par texto est plus efficace que l’attente d’un retour d’appel suite à un message laissé sur une boîte vocale, probablement déjà bien pleine.

Toutefois, bien qu’accessible en tout temps, tant les poursuivants que les avocat.e.s de la défense ont le droit de déconnecter à la fin de la journée. Pouvoir toujours être rejoint ne doit pas équivaloir à devoir être disponible en dehors des heures de travail. Les limites entre « être au travail » et « ne pas être au travail » sont floues vu la connexion constante aux appareils mobiles. Il ne faut pas sous-estimer l’impact positif que la déconnexion a sur la productivité au travail. Les risques de conséquences néfastes pour la santé mentale et physique sont non négligeables (anxiété, dépression, épuisement). Bien qu’il soit difficile de trouver un juste milieu en conciliant travail, télétravail et vie personnelle, il est impératif pour les avocats de favoriser un moment de vrai repos.

De plus, bien qu’utile lorsque des vacations à la cour dans différents districts judiciaires sont nécessaires dans une même journée, la visioconférence n’est pas une excuse pour forcer un horaire débordant. Les différents intervenants du système judiciaire doivent comprendre et respecter que les avocat.e.s de la défense ne peuvent pas toujours être à plusieurs endroits au même moment. La visioconférence ne doit pas devenir une excuse pour embourber les agendas et faire avancer trop rapidement les causes. Il ne faut pas que cet outil fasse en sorte d’imposer une surcharge de travail sur les épaules de l’avocat.e.  Il est primordial de prendre le temps nécessaire afin d’offrir des services de qualité.

QU’EN EST-IL DE L’ENVIRONNEMENT? Bien que le rôle quotidien des dossiers à la cour soit disponible de façon virtuelle, celui-ci est encore présent sur les tables dans les salles de cour. Beaucoup d’autres procédures doivent être déposées : formulaire de fixation de procès, d’enquête préliminaire ou de gestion ou encore les formulaires de modification de conditions. Il est aussi impossible de passer sous silence les multiples copies imprimées des décisions plaidées par les avocat.e.s lors de leurs procès, toutes disponibles en ligne et pouvant être envoyées préalablement à l’audience au juge siégeant.

Aucun service n’est actuellement disponible pour que la pratique du droit criminel se fasse entièrement grâce à la technologie.  À quand l’ère exclusivement numérique, où le papier ne sera plus surconsommé à la tonne? Nous sommes encore bien loin d’une justice verte, mais il est beau d’y croire.

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