Reconnaissance du profilage racial subi par les personnes noires lors d’interpellations policières

Le 25 octobre 2022, la Cour supérieure du Québec (ci-après «la Cour»), sous la présidence de l’honorable Michel Yergeau, rendait une décision importante visant la fin du profilage racial lors d’interpellation policière envers les conducteur.trice.s noir.e.s dans la cause Luamba c. Procureur général du Québec1.

À PROPOS DU DEMANDEUR
Le demandeur est un homme noir, dans la vingtaine, résidant à Montréal. Détenteur d’un permis de conduire depuis 2019, il a fait l’objet de plusieurs interpellations policières sans motif au courant d’une année. Luamba demandait à la Cour de déclarer invalide et inopérante la règle de common law octroyant à des policiers le pouvoir d’intercepter un véhicule routier, sans motif réel de croire ou de soupçonner qu’une infraction à une règle de sécurité routière a été commise, lorsque cette interception ne fait pas partie d’un programme structuré. Il demandait de faire de même avec l’article 636 du Code de la sécurité routière (ci-après « C.s.r. »). Il plaidait que la règle de droit contrevient aux garanties juridiques inscrites aux articles 7 et 9 et au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, sans pouvoir être justifiée au sens de l’article 1 de loi2.

Le profilage racial existe bel et bien. Ce n’est pas une abstraction construite en laboratoire. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Elle se manifeste en particulier auprès des conducteurs noirs de véhicules automobiles. Les droits garantis par la Charte ne peuvent être laissés plus longtemps à la remorque d’un improbable moment d’épiphanie des forces policières.3

CONCLUSIONS DE LA COUR
À l’issue de 21 jours de procès, le juge Yergeau rend un jugement détaillé (170 pages). En somme, la Cour a invalidé la règle de droit permettant les interceptions routières sans motif réel, statuant qu’elle viole les droits garantis aux articles 7 et 9 et au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, sans pouvoir être justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique. La Cour a aussi déclaré inopérant l’article 636 du C.s.r. Toutefois, la Cour a suspendu pour six mois la prise d’effet du jugement, à l’exception de tout dossier judiciaire dans lequel la même règle de droit a été contestée et dont les procédures sont encore en cours.

DÉCISION PORTÉE EN APPEL
Un mois après la décision rendue en première instance, le ministre de la Sécurité publique et le ministre responsable de la Lutte contre le racisme, annonçaient l’appel de la décision. Ils allèguent notamment que le jugement de la Cour prive les policiers d’outils importants pour assurer la sécurité routière et lutter contre la criminalité.

Par ailleurs, le gouvernement du Québec souligne son intention de mettre à jour la Loi sur la police pour faire en sorte que les policiers soient mieux outillés sur les questions de discrimination et de profilage racial.4

RÉSUMÉ DE MON ENTRETIEN TÉLÉPHONIQUE AVEC ME FERNANDO BELTON, AVOCAT SPÉCIALISÉ EN PROFILAGE RACIAL
Membre du Barreau depuis 2015, Me Belton est une référence en matière de profilage racial notamment au sein de la communauté noire. À la suite de son premier dossier de profilage racial, il crée en mai 2020 un comité y dédié au sein de la Clinique juridique de St-Michel (CJSM), un OBNL qu’il a co-fondé. Depuis sa création, la CJSM a organisé deux marathons, chacun de 12 heures consécutives sur les réseaux sociaux, permettant à des personnes victimes de profilage racial et de brutalité policière de témoigner dans le but de conscientiser la société à cet enjeu.

Fernando enseigne un cours de droit sur le profilage racial. À ce jour, son cours a été offert aux facultés de droit de l’Université d’Ottawa, l’UQAM, l’Université McGill et l’Université de Montréal. Fernando est également étudiant à la maîtrise en droit criminel.

Note : Ayant échangé avec Me Belton à plusieurs occasions, je me suis permise de le tutoyer. Ici-bas une retranscription libre de notre entretien.

  1. Luamba c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3866.
  2. Idem, par. 52.
  3. Id. note 1, paragraphe 861
  4. Lia Lévesque, « Québec fera appel de la décision interdisant les interceptions aléatoires »,(25 novembre 2022),en ligne : https ://www.ledevoir.com/societe/772245/quebec-fera-appel-de-la-decision-interdisant-les-interceptions-aleatoires.

Q  — Qu’est-ce qui t’as amené à te spécialiser en matière de profilage racial ?

R — J’étais initialement intéressé par le litige civil. Plusieurs circonstances ont fait en sorte que je me suis plutôt dirigé en droit criminel et pénal. D’abord, la rencontre de deux figures significatives, les criminalistes Mes Lida Sara Nouraie et Nicholas St-Jacques. Par la suite, à l’École du Barreau, un professeur a félicité ma plaidoirie (dans un dossier criminel). Enfin, après plusieurs mois de recherche de stage, j’ai saisi l’opportunité à la cour municipale de la ville de Montréal (en matière criminelle et pénale).

Q  — Quelle était ta première réaction suite à cette décision de la cour ?

R — Je caractériserais la décision du juge Michel Yergeau comme étant une décision courageuse. J’estime que la décision est bien motivée, tant sur le plan du droit que des faits, considérant l’abondante preuve d’expertise et l’analyse juridique poussée en vertu de la Charte. Aussi, sachant que l’audition s’est déroulée en juin 2022 et que le jugement a été rendu en octobre, cela démontre que le juge s’y est consacré longuement depuis l’audition.

Q  — Selon toi, quelle est la portée de cette décision ?

R — Tout d’abord, les quatorze témoignages rapportés dans la décision sont touchants! Ces témoignages appellent à un éveil de conscience. Cela dit, il était prévisible que la décision serait portée en appel considérant l’impact. Disons que je m’y attendais. En appel, le débat risque de se jouer sur l’article 1 de la Charte. (Fin de l’entrevue)

SELON MOI, LA BATAILLE EST LOIN D’ÊTRE GAGNÉE!
Sur le plan du droit, il faudra attendre l’audition en Cour d’appel pour connaître la suite. Entre temps, sur le terrain, le climat me semble de plus en plus tendu entre les corps policiers et les personnes noires (particulièrement les hommes). Il est plus fréquent d’observer sur les médias sociaux des policiers qui interpellent des hommes noirs sans l’apparence de motif réel. D’observer l’escalade du ton des policier.ère.s face à des individus qui questionnent le motif d’interpellation; voir la stigmatisation d’individus et l’usage de force inutile. Il m’apparaît clair qu’il y a urgence d’agir afin que personne ne se sente cibler par la police. TOUS doivent pouvoir faire confiance à l’institution qui a pour devise de servir et protéger le peuple. On a du chemin à faire!