Un dernier petit tour

Au revoir l’Extra! Notre cher journal qui aura vu passer plusieurs jeunes avocat.e.s en quête d’un lectorat en est à sa dernière publication. Cher Extra, tu nous auras fait vivre de belles années et permis de nous ouvrir sur de nouveaux horizons. Avant de lui rendre hommage une dernière fois en y rédigeant un ultime article, il m’apparaissait nécessaire de faire un bref retour sur « mes moments ExtraJudicaire ».

Il y a plus ou moins six ans, je m’apprêtais à rédiger dans l’ExtraJudiciaire pour la première fois. C’était un article sous forme d’entrevue qui allait paraître dans l’édition soulignant le 375e de la ville de Montréal. Renouer avec l’écriture m’a alors fait le plus grand bien. L’expérience m’a aussi rappelée à quel point m’impliquer dans ma communauté me faisait du bien et était important pour moi.

Cette entrevue fut le premier d’une série d’articles que j’ai écrits pour notre belle revue. La richesse de notre journal résidait à la fois dans la possibilité de pouvoir écrire sans censure nos opinions sur le sujet qui nous enflammait alors! En ce qui me concerne, j’ai exploré des sujets aussi diversifiés que le populisme, les armes létales autonomes, le hygge et j’en passe.

Je me dois aussi de souligner la chance que j’ai eu d’agir en tant que rédactrice en chef pour l’Extrajudiciaire. Un beau défi que j’ai adoré relever et qui m’a certainement fait évoluer. C’est donc avec beaucoup de tristesse que je dis au revoir à l’Extra. Un au revoir qui marque également, en ce qui me concerne, la fin d’une décennie au sein du Jeune Barreau de Montréal.

Pour cette ultime chronique, je profite de l’occasion qui m’est offerte d’explorer mon sujet du moment: les “Safe Haven laws” aussi connues sous le nom de “Baby Moses laws”. C’est suite au visionnement d’une capsule sur les réseaux sociaux que ma curiosité pour ces lois a été piquée. Cette courte vidéo explique ce que sont les “baby boxes”.

Ce dispositif est présent dans plusieurs États américains et certains pays européens. Le Canada en compterait quatre, trois localisés en Alberta et un en Colombie-Britannique (https://stopshbbnow.org/canada/). Pour les fins de cet article, je m’attarderais surtout à la situation américaine puisque chaque État, ou presque, possède sa “Safe Haven law” et qu’il me semble que ce type de loi soulève un certain paradoxe.

Il est pertinent de noter, qu’en dépit de l’existence de quatre boîtes à bébé au Canada, l’article 218 du Code Criminel prévoit que “quiconque illicitement abandonne ou expose un enfant de moins de dix ans, de manière que la vie de cet enfant soit effectivement mise en danger ou exposée à l’être, ou que sa santé soit effectivement compromise de façon permanente ou exposée à l’être est coupable” d’un acte criminel. Ainsi en l’absence d’une “Safe Haven law”, une personne posant ce geste s’expose à des poursuites criminelles peu importe le motif.

Bien que l’on peut retracer l’existence de dispositif mis en place pour prendre charge des poupons laissés à l’abandon, jusqu’au Moyen âge, dans notre histoire plus contemporaine, c’est en 1999 que la première “Safe Haven Law” fut adoptée au Texas. C’est l’abandon de 13 nouveaux-nés, dont trois retrouvés décédés, en 1998, qui encouragea le gouverneur de l’époque, nul autre que George W. Bush, à signer l’adoption de cette loi1. Autre particularité, c’est à cet État que l’on doit la désignation de “Baby Moses law”. Une désignation biblique qui ne manque pas de souligner les liens étroits qui existent entre ces lois et les lois restreignant le droit à l’avortement chez nos voisins du sud. L’idée derrière ces deux types de lois est d’ailleurs la même: sauver la vie des jeunes poupons et leur offrir un avenir meilleur.

Ce premier projet de loi ainsi que tous les projets de lois qui furent adoptés dans chacun des 46 états ayant emboîté le pas au Texas, l’ont été de façon très expéditive. En somme, ces lois permettent à un parent (le plus souvent la mère) qui ne se sent pas apte à prendre charge de son enfant de l’abandonner de façon anonyme, sans qu’aucune question ne lui soit posée, et surtout, qu’aucune poursuite criminelle ne soit intentée. Pour les promoteurs de ces lois, l’idée est gagnante pour tous. La mère se voit gracier d’une poursuite criminelle et le jeune poupon sauvé de cette dernière se voit offrir un bel avenir dans un nouveau foyer. Tout comme l’idéologie se cachant derrière les lois restreignant le droit à l’avortement, ces personnes véhiculent que toute forme de vie humaine doit être sauvée, peut importe les dommages collarétaux que cela peut causer2.

Dans la plupart des États, le parent doit renoncer à son autorité parentale. Seuls 21 États permettent au parent de revenir sur sa décision d’abandonner son bébé, et ce dans un délai très court. De plus, comme les procédures sont anonymes, il n’est pas possible pour l’enfant ainsi abandonné d’obtenir un jour des détails sur ses parents biologiques, que ce soit pour les retrouver ou seulement pour avoir une idée de son bagage généalogique ou médical.

Quant aux boîtes de dépôt, celles-ci sont généralement annexées à une caserne de pompiers, un poste de police ou à un hôpital. Évidemment afin de garantir la sécurité des poupons ces boîtes doivent remplir des critères particuliers pour assurer les conditions optimales pour ces derniers. On peut penser ici à la sécurité du berceau qui les accueille, à la régulation de la température de la boîte et aux dispositifs d’alarme qui permettent d’aviser les personnes responsables qu’un poupon vient d’être déposé.

Dans les États ne possédant pas de tels dispositifs, ce sont les mêmes édifices qui sont également désignés comme point de chute à la différence que le parent souhaitant se départir de son nouveau-né devra rencontrer un responsable désigné. Comme ces lois ont pour objectif de protéger les nouveaux-nés, la période où il est possible de déposer un nouveau-né est généralement très limitée et varie de 72 heures de vie à 30 jours de vie.

Depuis l’existence de ces lois, c’est 4 624 bébés qui ont été abandonnés légalement et 1610 bébés abandonnés illégalement (https://www.nationalsafehavenalliance.org/). De ce dernier nombre, plusieurs sont décédés dû aux conditions dangereuses et inadéquates dans lesquelles ils ont été laissés à eux-même. Ces statistiques fournies par le National Safe Haven Alliance font froid dans le dos.

Difficile d’être contre une loi qui a pour principal objectif d’éviter qu’un bébé ne soit abandonné dans des conditions dangereuses. Toutefois, tout comme certains groupes ne manquent pas de le soulever, l’existence de ces lois mêmes est moralement questionnable3. Elles me semblent être le résultat d’une culture de manque de choix et de non-respect de la liberté d’une personne à disposer de son corps. Je pense ici au droit à l’avortement qui est extrêmement restreint voir pratiquement inexistant dans certains États. La juge Amy Coney Barret soulignait d’ailleurs dans la décision Dobbs v. Jackson Women’s Health que les femmes qui ne désiraient pas avoir l’enfant issu de leur grossesse pouvaient se prévaloir des mécanismes prévus par ces lois (https://blog.petrieflom.law.harvard.edu/2022/05/10/safe-haven-laws-and-anti-abortion-politics/).

Cet argument me semble pour le moins particulier du point de vue de la condition de la femme, tant pour la santé physique et mentale que d’un point de vue économique. J’ajouterais aussi que les changements hormonaux occasionnés à la fois par la grossesse et le postpartum sont les plus grands qu’une femme vivra dans sa vie. Ces perturbations hormonales peuvent certainement être exacerbées par le stress lié à une grossesse non désirée (qui sera parfois cachée). Il m’est donc difficile de voir en quoi ces lois remédient à cette problématique si ce n’est que pour y faire office de diachylon!

  1. Carol Sanger, Infant Safe Haven Laws: Legislating in the Culture of Life, 106 Colum. L. Rev. 753 (2006)
  2. Ibid
  3. Préc. note 1.