Élections provinciales 2022 : Analyse d’un doctorant en cotutelle à Sciences Po Paris/Université de Montréal

Grégory Lancop (G.L.)  Bonjour M. Chassé, je tiens à vous remercier d’avoir pris le temps de discuter avec nous aujourd’hui. J’estime que vos connaissances et votre champ d’études sont particulièrement intéressants pour cette édition. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteur.trice.s avocat.e.s? Qui êtes-vous ? Quel est votre parcours ?

 Philippe Chassé (P.C.)  Je vous remercie pour l’invitation. Je suis doctorant en sciences politiques à l’Université de Montréal et à Sciences Po Paris.

Mes travaux portent sur les comportements politiques, le lien entre les pratiques linguistiques et les attitudes politiques et le rôle du langage dans la formation de l’image des personnalités politiques. Plus précisément, ma thèse se penche sur les attitudes des électeur.trice.s québécois.e.s et français.e.s à l’égard du style langagier — soit l’accent et le registre — des personnes qui souhaitent obtenir leur vote. Elle a pour objectif de répondre à la question suivante : la façon dont s’exprime un.e candidat.e politique peut-elle nuire à l’évaluation que font les électeur.trice.s de ses compétences et, ultimement, compromettre ses chances d’être élu.e ?

G.L.  Fort intéressant. Comme vous le savez, notre édition porte sur les élections provinciales qui auront lieu octobre prochain. Bien que cette entrevue soit réalisée en août, pouvez-vous nous parler des grands enjeux qui devraient ponctuer la campagne ?

P.C.  À ce stade-ci, il est difficile de déterminer avec certitude quels seront les principaux enjeux de l’élection québécoise de 2022.

Toutefois, l’on peut d’ores et déjà se douter que l’enjeu de l’indépendance du Québec ne jouera pas un rôle très important cette fois-ci. Cela n’est peut-être pas surprenant, dans la mesure où cet enjeu était déjà absent en 2018 — entre autres en raison de la volonté affirmée de Jean-François Lisée, alors chef du Parti Québécois, de ne pas organiser de référendum sur la question dans un premier mandat —, mais cela marque un profond changement par rapport aux élections des 50 dernières années. Il ne faut pas oublier que la position sur la question nationale a longtemps été l’un des plus importants déterminants du vote au Québec.

 G.L.  Tout-à-fait, par rigueur intellectuelle, nous ne devons pas trop spéculer. Souhaitez-vous plutôt parler de défis pour les formations politiques, surtout avec le changement énorme de l’échiquier politique au Québec ?

 P.C.  En effet, les différents défis qui se présentent aux partis politiques québécois peuvent, me semble-t-il, nous aider à avoir une meilleure idée des stratégies auxquelles les formations politiques risquent d’avoir recours et, par conséquent, des enjeux qui ont le potentiel d’être abordés pendant la campagne :

PARTI QUÉBECOIS :
Défi : maintenir une députation à l’Assemblée nationale ! Les sondages laissent présager que le parti ne pourrait que remporter deux circonscriptions (marge d’erreur : 1-7).

Un facteur à son avantage : sa capacité à récolter des fonds. Le projet porté par le PQ, même s’il ne risque pas d’être l’enjeu principal de l’élection de 2022, importe aux yeux de nombreux Québécois. Le PQ est donc le deuxième parti qui a récolté le plus de fonds en 2021 (derrière la CAQ).

PARTI LIBÉRAL DU QUÉBEC :
Défi :
Se redéfinir en l’absence d’un PQ fort et de l’éventualité d’un référendum. Cela implique de convaincre à nouveau les électeurs francophones de voter pour lui tout en évitant de s’aliéner sa base partisane anglophone et allophone. Le parti s’est mis les pieds dans les plats avec le projet de loi 96. Deux partis ayant pour objectif de défendre les intérêts des anglophones — à savoir le Parti canadien et Bloc Montréal — ont été créés récemment. Les derniers sondages ne laissent néanmoins pas présager que ces formations ont le potentiel de ravir des sièges au PLQ.

Un facteur à son avantage : une base électorale concentrée dans un nombre de circonscriptions suffisant pour lui assurer une certaine représentation à l’Assemblée nationale (et ce, malgré la désertion du parti par les francophones).

PARTI CONSERVATEUR DU QUÉBEC :
Défi : Trouver des appuis ailleurs que chez les électeurs qui sont déçus de la gestion de la pandémie de la COVID-19 par la CAQ. Le parti performe plutôt bien dans les sondages si l’on tient compte que jusqu’à récemment, il était très marginal. Or, puisque ses électeurs actuels sont dispersés sur le territoire — même s’il convient de noter qu’ils sont plus nombreux dans la région de la Capitale nationale et les Chaudière-Appalaches — il risque de ne pas être en mesure d’obtenir de sièges à l’Assemblée nationale s’il ne parvient pas à convaincre d’autres personnes.

Un facteur à son avantage : une montée en popularité très importante depuis la pandémie et l’arrivée d’Éric Duhaime, une personnalité plus connue qu’Adrien Pouliot, à la tête du parti.

QUÉBEC SOLIDAIRE :
Défi : S’assurer de maintenir ses appuis à l’extérieur de Montréal et élargir sa base. Les sondages laissent entrevoir des courses serrées en Abitibi-Témiscamingue, à Québec et à Sherbrooke. Le parti a tout intérêt à convaincre un plus grand nombre d’électeurs qu’il est une alternative sérieuse à la CAQ.

Un facteur à son avantage : l’enjeu de l’environnement semble avoir avantagé QS en 2018. Un intérêt grandissant des électeurs pour cet enjeu pourrait donc lui être bénéfique dans les années à venir.

COALITION AVENIR QUÉBEC :
Défi : L’électorat semble satisfait du gouvernement actuel. Or, la CAQ ne peut pas nécessairement tenir pour acquis les électeurs, surtout si elle tient à concrétiser l’excellente performance électorale que laissent actuellement entrevoir les sondages. Les autres partis risquent d’attaquer son bilan et elle devra le défendre.

Un facteur à son avantage : le parti est très populaire selon les sondages. Il peut donc se permettre de recruter des candidats vedettes plutôt facilement. Dans les dernières semaines, des personnalités politiques et médiatiques plutôt connues ont décidé de rejoindre les rangs de la CAQ. De même, on ne peut se permettre de passer sous silence la capacité de la CAQ à s’aligner avec l’opinion de la majorité (que l’on considère que cela s’approche de l’idéal démocratique ou non). Sa position constitutionnelle, de même que la Loi sur la laïcité et la réforme de la Charte de la langue française en sont de bons exemples.

G.L.  Vous avez parlé sommairement de l’enjeu environnemental. Surtout pour les jeunes, c’est un enjeu incontournable. La situation économique du Québec est aussi un sujet très important. Comment ces enjeux peuvent-ils s’imposer ?

P.C.  Les enjeux de l‘environnement et de l’économie pourraient difficilement être absents.

Les principaux partis politiques québécois se disent généralement préoccupés par les questions environnementales, le Parti conservateur du Québec étant peut-être l’exception à la règle. Lors des dernières élections, leurs programmes politiques n’étaient pas tous aussi ambitieux en revanche. Il ne serait pas surprenant que la CAQ essuie certaines critiques, entre autres sur le projet controversé du troisième lien entre Québec et Lévis.

L’inflation — et l’économie, plus généralement — risque aussi de s’inviter dans la campagne électorale. François Legault a déjà annoncé qu’il souhaitait envoyer un deuxième chèque de 500 $ aux citoyens québécois gagnant moins de 100 000 $ par année s’il est réélu cet automne. Cela ne devrait pas manquer de créer certains débats sur les meilleurs moyens d’aider la population à passer au travers de la hausse du coût de la vie.

 G.L.  Merci pour votre temps M. Chassé, ce fut fort agréable..