Et si la pandémie avait eu des effets bénéfiques sur notre rapport au travail ?

Penser l’après pandémie et prendre l’élan nécessaire pour réinventer le travail. C’est ce que je vous propose aujourd’hui.

L’étymologie du mot travail et son évolution sont assez éloquents sur l’ambivalence de notre rapport à celui-ci. Issu du latin tripalium, ce mot désignait à l’origine un instrument de torture composé de trois pieux. Peu reluisant, je vous l’accorde. Durant l’Antiquité, les philosophes ne faisaient que peu d’éloges du travail et préféraient la contemplation à l’ouvrage physique. C’est ensuite la chrétienté qui, en occident, a su lui rendre ses lettres de noblesse en attribuant une certaine spiritualité au travail de la terre. Le travail était largement considéré jusqu’à récemment comme une valeur en soi, ayant une place centrale dans nos vies. Source de revenu et d’appartenance, la pandémie a redistribué les cartes et nous force à porter un regard différent sur notre rapport à celui-ci.

Fermetures d’entreprises, mises à pied, congédiements et diminution du temps de travail sont quelques des nombreuses conséquences négatives de cette pandémie sur le marché du travail. Le Québec a même atteint 17,6 % de taux de chômage en avril 20201. Difficile alors de voir le verre à moitié plein face à un tel bilan. La santé mentale des travailleur.euse.s et des demandeur.esse.s d’emploi s’est vu fragilisée durement par la perte de confiance en l’avenir.

Dans un sens, la crise du COVID-19 a forcé l’humanité à se recroqueviller sur sa sphère personnelle. Le travail n’apparait plus aujourd’hui comme cet univers hermétique, protégeant l’Homme dans une société fracturée et hostile. Stabilité, évolution, indépendance sont autant de facteurs qui nous poussaient à orienter nos existences autour de notre rapport au travail. La pandémie nous a néanmoins permis de réaliser que le travail n’était pas cet espace sécurisant qu’il semblait être. Et si la brutalité de cette transition nous poussait à arpenter le chemin que nous aurions déjà dû prendre il y a plusieurs années ?

Au Québec, comme ailleurs, l’urgence était de sauver la santé, l’économie et les travailleur.euse.s. Les gouvernements ont alors revêtu leur chapeau d’État-providence et ont fourni à la société les moyens d’affronter les vagues déferlantes successives. Le Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité, accompagné du Premier ministre du Québec, avaient d’ailleurs lancé en novembre 2021 l’« Opération main d’œuvre », afin de permettre la requalification de plus de 200 000 chômeur.euse.s de la pandémie vers des secteurs cibles comme les technologies de l’information, le génie, la construction, l’éducation, la santé et les services sociaux. Une allocation de 475$ par semaine était versée à toute personne sans emploi qui entamait une formation dans un de ces secteurs, alors qu’il.elle n’avait pas été aux études depuis plus de deux ans. Cette mesure faisait à ce moment partie des quatre-vingt-cinq mesures gouvernementales prises en réaction à la COVID-192.

La population active a été incitée financièrement à combler certains secteurs, alors en pénurie de main d’œuvre. En ayant l’effet escompté, ces mesures pourraient à terme réduire la pression que vivent certain.e.s travailleur.euse.s. D’après une étude menée en 2021 par l’organisme Stratégie en milieu de travail sur la santé mentale (Canada Vie), plus d’un travailleur.euse canadien.ne sur trois se dit susceptible de déclarer un épuisement professionnel. Ce nombre est presque doublé pour les travailleur.euse.s du secteur de la santé3.

Si ces mesures portent leurs fruits, elles demeureront toutefois insuffisantes face au changement de paradigme qui s’est mis en place. Il parait en réalité impossible de résorber la pénurie de main-d’œuvre si on ne réinvente pas, en parallèle, l’entreprise pour la rendre plus adaptée et attractive au point de vue du travailleur.euse.

Tout d’abord, l’implantation du télétravail s’est uniformisée alors même qu’il était largement minoritaire prépandémie. À l’origine structurée et cohérente, les changements des dernières années ont poussé l’entreprise à mettre en place des moyens pour protéger ses employé.e.s et respecter les mesures imposées par le gouvernement. À la hâte, il fallait instaurer de nouvelles techniques managériales. Malheureusement, ce qui s’apparentait à de l’innovation managériale ressemblait parfois à une multiplication de mesures imposant la sphère professionnelle au sein de nos foyers. L’urgence réside désormais dans la création d’un droit à la déconnexion.

En plus de la nécessité de revoir l’entreprise et le cadre légal du travail, il convient dorénavant de prendre en compte les nouvelles exigences des travailleur.euse.s. Les conséquences énumérées précédemment, à savoir, la décentralisation de la place du travail, le renfermement sur sa sphère personnelle, l’instabilité des crises politiques et économiques successives depuis 2008 sont autant de facteurs qui incitent aujourd’hui les travailleur.euse.s à faire une place plus importante à leurs intérêts privés. Nombreux.euses sont ceux (celles) qui, dorénavant, seraient prêt.e.s à refuser une offre d’emploi qui ne propose pas de télétravail. Nombreux.euses sont aussi ceux (celles) qui, par convictions, refuseront de travailler pour une entreprise qui ne correspond pas à leurs valeurs.

La crise des allégeances est en marche et il est possible que ce soit à l’entreprise de s’adapter au (à la) travailleur.euse. Ce rééquilibrage de rapport de force pourrait avoir de nombreux effets bénéfiques sur la santé psychologique de certain.ne.s travailleur.euse.s. Reste la question de savoir si nous sommes témoins et acteur.trice.s d’une véritable révolution salariale ou s’il s’agissait simplement d’un mécanisme d’autodéfense temporaire. L’avenir nous le dira.

  1. Institut de la Statistique du Québec, « Portrait de diverses mesures adoptées au printemps 2020 par les entreprises de 200 employés et plus au Québec dans le contexte de la pandémie de COVID-19 », Marché du travail et rémunération, no 30 (mars 2022), en ligne : https://www.statistique.quebec.ca/fr/fichier/portrait-mesures-printemps-2020-entreprises-200-employes-et-plus-pandemie-covid-19.pdf.
  2. Nicolas Lachance, « « Opération main-d’oeuvre »: 475$ par semaine pour étudier dans des secteurs où il y a pénurie » (30 novembre 2021), en ligne : https://www.journaldequebec.com/2021/11/30/en-directjusqua-20-000–en-bourses-pour-les-futurs-enseignants.
  3. Index Santé, « Selon une nouvelle étude, plus du tiers des Canadiens font état d’épuisement professionnel » (17 janvier 2022), en ligne : https://www.indexsante.ca/nouvelles/1276/selon-une-nouvelle-etude-plus-du-tiers-des-canadiens-font-etat-d-epuisement-professionnel.php.