La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le boeuf

Dans un article de Radio-Canada daté du 20 janvier 2022, Mélanie Joly affirmait que « la Russie s’expose à des sanctions en cas d’actions militaires en Ukraine ». Ce pays d’Europe de l’Est se trouve en effet au cœur d’une joute géostratégique entre la Russie, les États-Unis et leurs alliés européens.

Lors de l’éclatement de l’Union soviétique, les Américains avaient promis à Mikhail Gorbachev, secrétaire-général de l’URSS, de ne pas tenter de rallier à l’OTAN les anciens pays satellites de l’URSS. Or, depuis une dizaine d’années, en rupture avec les promesses faites à l’époque et qui ont poussé les Soviétiques à entreprendre la perestroïka, les Américains ont tenté d’inclure l’Ukraine dans l’OTAN, une alliance militaire sous l’égide des États-Unis. Cet ultime parjure des Américains fait suite à « l’otanisation » rapide de la Hongrie, de la République tchèque et de la Pologne dans les années 1990.

La réflexion qui m’est venue à l’esprit lorsque Madame Joly a menacé de sanctions la Russie est que, lorsqu’elle était ministre du Patrimoine, elle n’avait pas réussi à taxer Netflix et, maintenant, elle menacerait Vladimir Poutine, président de la Russie? Celui qui a récupéré la Crimée et qui a sauvé le régime syrien de Bachar Al-Assad au vu et au su de la communauté internationale? Puis, je me suis demandé si je ne comparais pas des pommes avec des poires, des notions de droit international privé et de droit international public.

D’un côté, il est indiscutable que les grandes entreprises ont une puissance plus grande que celle d’au moins la moitié des États qui siègent à l’ONU. Quelquefois, je me demande si les grandes entreprises ne sont pas plus puissantes que le Canada. Si Mélanie Joly affirmait à Tout le monde en parle le 30 janvier 2022 que la crise en Ukraine constituait la plus grande menace depuis la Deuxième Guerre mondiale, il ne faut pas oublier que c’est grâce à Facebook que la Russie a réussi à influencer les élections américaines de 2016 et à favoriser l’élection de Donald Trump. Or, en 2019, Mark Zuckerberg a ignoré une assignation à comparaître de la Chambre des communes relativement au scandale Cambrigde Analytica. Le fait que les grandes entreprises ignorent les citations à comparaître à la Chambre des communes démontrent le mépris qu’elles ont de l’État canadien. En ce sens, le rôle de ministre des Affaires étrangères devrait peut-être inclure un volet corporatif, car ces entreprises étrangères font peser une menace importante sur la démocratie canadienne. Par ailleurs, l’échec du gouvernement à légiférer et à réguler les GAFAM est une menace directe à la culture québécoise et canadienne, ce qui prouve que défendre la culture, le cœur de l’identité d’un peuple, est une tâche trop lourde pour qu’elle relève exclusivement des médias ou du privé.

Depuis janvier 2022, la situation a bien évolué et le 23 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine. Tout d’abord, loin de moi l’intention de minimiser les souffrances que subit le peuple ukrainien. Néanmoins, au-delà du narratif promu par les médias occidentaux à l’effet qu’il s’agit d’une guerre d’agression injustifiée, il y a lieu de s’interroger si le discours belliqueux tenu par l’alliance anglo-saxonne (États-Unis, Grande-Bretagne, Canada et Australie) et leurs efforts pour déstabiliser la région depuis l’implosion de l’URSS par opposition à l’approche européenne plus modérée, n’ont pas contraint Poutine à agir militairement pour défendre les intérêts nationaux russes. Inversons un peu les rôles et imaginons comment réagiraient les États-Unis si le Canada joignait une alliance militaire avec la Chine par exemple. On peut aussi se rappeler comment l’arrivée de missiles soviétiques à Cuba en 1961 a failli nous mener vers un conflit nucléaire.

Par ailleurs, cet alignement du Canada sur la stratégie des faucons de Washington met le Canada dans une position difficile, car nous possédons une frontière maritime immense avec la Russie dans l’Arctique que nous ne sommes pas en mesure de défendre nous-mêmes. Au lieu d’agir comme médiateur sur la scène internationale comme le Canada a su le faire par le passé, nous risquons un conflit à propos de notre souveraineté dans l’Arctique et nous devrons nous appuyer sur les Américains pour défendre nos frontières et notre souveraineté. En effet, nous ne possédons pas de marine de guerre et nous n’avons comme seuls avions de combat que nos vieux CF-18 désuets. En ce sens, le Canada devrait cesser de faire des menaces qu’il n’est pas capable de mettre à exécution et qui le place dans une situation de vulnérabilité, tant auprès des Américains que des Russes.

En résumé, sous la gouverne de Justin Trudeau, l’État canadien est une grenouille qui se veut faire aussi grosse qu’un bœuf comme dans la fable de Lafontaine, un acteur mineur tant auprès des États que des compagnies.