La première justice commence avec soi

Notre profession est certainement habitée par une culture de performance parfois malsaine. Il n’y a pas de recette magique pour faire face à cette pression sociale. Toutefois, pour ma part, j’ai commencé à mieux la vivre le jour où j’ai cessé d’avoir une sévérité excessive envers moi-même, que me je suis accordé un peu de compassion et surtout le jour où j’ai commencé à être juste avec moi-même.

À vrai dire, je me souviens du moment précis où j’ai eu le déclic de faire preuve d’une plus grande justice envers moi-même. À l’époque, je travaillais dans une bibliothèque et comme c’est souvent le cas dans ce travail, je classais des livres. À ce moment précis, j’étais dans ma bulle et j’entretenais un discours négatif à mon égard et puis je me suis arrêté un moment et je me suis posé la question suivante. J’ai imaginé un instant qu’une personne arrivait dans la bibliothèque et commençait à me dire toutes les choses négatives que je me disais à moi-même et je me suis demandé quelle serait ma réaction. Ma réponse a été, j’aurais appelé la police pour faire arrêter cette personne et pourtant j’étais en train de me dire cela à moi-même. Ce moment d’apparence banal a marqué un tournant dans mon discours interne. En fait, si nous ne contrôlons pas grand-chose dans cette vie, le discours que nous entretenons sur nous-même est quelque chose qui nous appartient à tous.tes.

Un des enjeux qui peut contribuer à la pression inhérente à notre profession est également la diabolisation de l’erreur. Il est normal de faire des erreurs, aucun.e avocat.e, même le.la plus brillant.e, n’a eu de parcours parfait. Je vous encourage d’ailleurs à écouter les capsules vidéo « Parcours 100 fautes » qui présentent des témoignages importants et sincères qui sauront vous aider à dédramatiser les erreurs que nous pouvons effectuer le long de nos parcours professionnels.

De même, si comme avocates et avocats, nous prêtons serment et entrons dans une riche profession, il faut se permettre de cultiver d’autres facettes de notre identité et ne pas se laisser consumer complètement par notre vie professionnelle et se perdre en chemin. C’est dans cette perspective que le JBM a adopté la Déclaration de principe sur la conciliation travail-vie personnelle et nous encourageons tous nos membres à la consulter.

De plus, le travail d’avocat est de plus en plus celui d’un solutionneur face à des enjeux souvent complexes. En fait, parfois, nous nous mettons sur les épaules toute la pression du problème qui nous est confié et cela peut avoir un effet dévastateur sur notre santé mentale. C’est un apprentissage parfois douloureux, mais au combien nécessaire, que d’apprendre la limite de notre action et de lâcher prise sur la partie qui échappe à notre contrôle. Il est injuste de se condamner pour les gestes posés par d’autres ou encore par nos client.e.s.

De même, il faut aussi apprendre à poser ses limites. Nous ne sommes pas invincibles et nous ne rendons pas service à nous-mêmes et nos client.e.s en allant au-delà de celles-ci. Il faut reconnaître que la hausse du télétravail et la culture de l’instantané peut rendre très difficile cet exercice, mais il faut se préserver un espace pour aller à la découverte de soi.

La justice envers soi est aussi une question de cohérence. Comment croire à des idéaux d’accès à la justice, si comme avocates et avocats nous nous traitons de manière totalement injuste. La première justice doit se faire avec soi.