La bienveillance dans le milieu juridique

Comme société, nous avons accordé pendant longtemps beaucoup d’importance à la productivité et le dépassement de soi au travail sans nous intéresser aux réelles conséquences. Selon Estelle Morin, professeure titulaire au département de management de HEC Montréal et spécialiste en la matière, il fut un temps où « on était loin d’être bienveillant.e […] on était plutôt exigeant.e, voire intolérant.e »1. Ce faisant, nous faisions malheureusement abstraction du bien-être de soi et de celui de celles et ceux qui nous entourent.

Heureusement, nous avons assisté à l’essor de la bienveillance dans notre société, notamment dans de nombreux cabinets d’avocat.e.s, d’entreprises et d’autres organismes. Son importance semble même accrue depuis la pandémie de la COVID-19, ce qui n’est pas surprenant en raison du ravage causé par cette maladie, le grand isolement vécu par bon nombre d’individus ainsi que les grands bouleversements occasionnés par la pandémie dans le milieu du travail.

Mais que signifie réellement la bienveillance? Comment se traduit-elle dans la vie de tous les jours d’un.e professionnel.le ou d’un avocat.e? Comme cette édition de l’Extrajudiciaire porte sur la bienveillance, il est primordial de se pencher sur ce concept et d’en faire un survol.

QU’EST-CE QUE LA BIENVEILLANCE?
Dans le langage courant, la bienveillance veut simplement dire une « disposition favorable à l’égard de quelqu’un.e »2 ou « veiller au bien des autres »3.

Toutefois, cela va bien au-delà de ça. Pour certain.e.s, c’est « une forme de volonté permanente que chacun.e puisse se réaliser, que chacun.e puisse prendre des initiatives, que chacun.e puisse trouver une voie pour rencontrer son destin, développer son potentiel et “devenir soi”»4. Bien entendu, pour être bienveillant.e envers quelqu’un.e, il faut d’abord s’intéresser à lui.elle5.

Dans un contexte plus professionnel, cela se traduit plutôt par « l’attitude qui consiste à veiller au bien-être de son équipe dans l’accomplissement des projets qu’on lui a confiée »6. Une telle approche peut également être bénéfique, car la bienveillance peut créer des conditions favorables à la motivation individuelle et à l’engagement avec le reste de l’équipe7. De plus, une équipe heureuse peut accroître la productivité de 12%8 à 13%9. Inversement, le coût du stress sur une équipe peut être dévastateur, faisant perdre des millions de dollars de revenu à certaines entreprises10.

OÙ EXISTE-T-ELLE DANS LE MILIEU JURIDIQUE?
La bienveillance s’applique entre avocat.e.s, jeunes et moins jeunes, d’un bureau, mais aussi entre confrères et consoeurs. Elle peut également exister entre membres du JBM qui s’intéressent aux autres et au succès de la mission du JBM. La bienveillance peut également exister entre collègues d’un même bureau. Par exemple, un.e avocat.e bienveillant.e écoute ses confrères.sœurs, et est poli.e positif.ve et fiable avec eux.elles11.

Cela peut également s’appliquer à nos confrères.sœurs les plus hauts placé.e.s. Cela peut être par exemple les associé.e.s du bureau d’avocat.e.s, ou les gestionnaires d’une entreprise ou d’un organisme ayant des avocat.e.s. Ils doivent avoir le souci du bien-être des autres. Comme le dit Nathalie Roos, membre du comité exécutif de L’Oréal, « la bienveillance est une attitude qui se transmet en cascade, depuis le haut d’une organisation jusqu’en bas de celle-ci et autour d’elle »12.

Pour y arriver, ces personnes doivent faire des suivis auprès de leurs troupes pour voir « comment ils se sentent, de quelle façon se déroulent leurs projets et comment on peut les aider »13. Ils peuvent aussi proposer des solutions réelles adaptées à la réalité de leurs équipes comme réduire les heures de travail ou assurer un droit réel à la déconnexion.

Chose certaine, la bienveillance prend de plus en plus de place au sein de notre profession et dans l’ensemble de la société. C’est d’ailleurs tant mieux. Il sera toutefois intéressant de voir comment ce concept si vieux mais en même temps si récent s’installera dans nos vies quotidiennes. À ce titre, il sera important de rester vigilant.e.s et proactif.ive.s dans son application au quotidien.

  1. Olivia Lévy, « Sommes-nous trop bienveillants ? », La Presse (10 octobre 2021), en ligne : https://plus.lapresse.ca/screens/a8c54bc2-5014-4941-8fee-1fec5a1baff1%7C_0.html.
  2. Alain Rey et Josette Rey-Debove, dir, Le Petit Robert de la Langue Française 2022, Paris, Le Robert, 2021, sub verbo « bienveillance ».
  3. Lévy, supra note 1.
  4. Olivier Truong et Paul-Marie Chavanne, La bienveillance en entreprise : utopie ou réalité ?, Paris, Groupe Eyrolles, 2017 à la p 15.
  5. Ibid à la p 16.
  6. Emmanuelle Gril, « Comment cultiver la bienveillance au travail », Gestion HEC Montréal (10 décembre 2021), en ligne : https://www.revuegestion.ca/comment-cultiver-la-bienveillance-au-travail.
  7. Truong, supra note 4, à la p 17.
  8. Ibid; Andrew J Oswald, Eugenio Proto et Daniel Sgroi, « Happiness and Productivity » 33:4 Journal of Labor Economics 789.
  9. « Happy workers are 13% more productive » University of Oxford (24 octobre 2019) en ligne: https://www.ox.ac.uk/news/2019-10-24-happy-workers-are-13-more-productive.
  10. Philippe Rodet, La bienveillance au travail : Trop de stress, pas assez de motivation, comment en sortir?, Paris, Éditions Eyrolles, à la p 21.
  11. Voir Gaël Chatelain-Berry, Les 10 commandements de la bienveillance en entreprise, Paris, Éditions First, 2019.
  12. Paul-Marie Chavanne & Olivier Truong, La bienveillance en entreprise : utopie ou réalité ? Paris, Groupe Eyrolles, 2017 à la p 12.
  13. Gril, supra note 6.