Travailleur.se autonome ou société par actions?

En tant que jeune professionnel.le, il est courant de se lancer en affaires en tant que travailleur.se autonome. Cependant, au fur et à mesure que l’entreprise croît, il est légitime de se demander si l’entreprise individuelle est vraiment le régime le plus adapté à nos besoins.

En effet, plusieurs moyens existent pour exploiter son entreprise, dont la société par actions. En plus des considérations commerciales, le.la professionnel.le devrait prendre en compte les implications fiscales de l’incorporation avant de choisir la forme juridique pour exploiter son entreprise.

QUELS SONT LES AVANTAGES FISCAUX DE L’INCORPORATION ?
S’incorporer présente de nombreux avantages sur lesquels le.la professionnel.le devrait se pencher, et notamment le report d’impôt, le fractionnement de revenu et la déduction pour gain en capital.

Par ailleurs, il est à noter qu’un.e travailleur.se autonome qui décide de continuer l’exploitation de son entreprise par l’entremise d’une société par actions peut le faire sans impact fiscal immédiat. En effet, sous réserve du respect de certaines conditions, le choix du roulement fiscal permet de transférer ses biens à la société par actions; le.la professionnel.le peut ainsi disposer de ses biens sans payer d’impôt au moment du transfert1.

REPORT D’IMPÔT
L’un des avantages d’exploiter une entreprise avec une société par actions est le taux d’impôt plus bas des sociétés par actions comparativement à celui des particuliers.

Un particulier est imposé sur une base d’un taux d’imposition progressif, alors que celui d’une société par actions dépend plutôt du type de revenu qu’elle réalise. En 2021, le plus haut taux combiné au fédéral et au provincial est de 53,31 % pour un particulier2.

Par ailleurs, le taux auquel est imposée une société par actions qui est une PME est de 12,38 % sur son premier 500 000 $ de revenu d’entreprise actif réalisé pour une année, et de 26,5 % sur le revenu d’entreprise actif dépassant 500 000 $ pour une année. Lorsque cette société versera des dividendes à ses actionnaires, ces dividendes seront imposés entre les mains des actionnaires3.

En effet, notre système d’imposition est basé sur le principe d’intégration fiscale. Cela fait en sorte qu’une personne gagnant son revenu d’entreprise directement et celle qui le gagne via une société par actions (puis qui le reçoit personnellement sous forme de dividendes) devraient payer le même taux d’impôt. Ainsi, si le second particulier réalise annuellement plus de revenus que ce dont il a besoin pour vivre, il peut réaliser des économies en le réinvestissant dans son entreprise sans le distribuer tout de suite en dividendes, et ainsi reporter l’imposition de ce montant à plus tard4.

FRACTIONNEMENT DE REVENU
S’incorporer présente également l’avantage de fractionner son revenu entre les différents membres de la famille du.de la professionnel.le, qui pourraient avoir un taux d’imposition moindre que celui de la personne qui s’incorpore.

Par contre, il faut noter que depuis le 1er janvier 2019, la possibilité de faire un tel fractionnement est limitée, et certaines conditions doivent être respectées pour ne pas être assujetti à l’impôt sur le revenu fractionné au taux marginal de 53,31 % sur le revenu fractionné. Par exemple, la possibilité de procéder au fractionnement de revenu varie selon l’âge du membre de la famille et son implication dans l’entreprise5.

POSSIBILITÉ DE PROFITER DE LA DÉDUCTION POUR GAIN EN CAPITAL
À la vente de certaines actions d’une petite entreprise, un particulier qui détient les actions depuis au moins 24 mois peut bénéficier d’une déduction pour gains en capital de 892 218 $ en 2021, indexée annuellement. Ainsi, cette mesure a pour avantage d’éviter de payer de l’impôt sur tout ou une partie du gain qui résulte de la vente des actions de la société.

Pour bénéficier de cette déduction, certaines conditions doivent être remplies, notamment :

  • Au moment de la vente des actions, plus de 90 % de la valeur des actifs de la société doit être utilisée dans une entreprise exploitée activement;
  • Et tout au long des deux ans avant la vente, plus de 50 % de la valeur des actifs de la société doit être utilisée dans une entreprise exploitée activement.

Une entreprise exploitée activement est une entreprise autre que celle dont le but principal est de tirer du revenu de biens (par exemple, une entreprise de location), et autre qu’une entreprise de services constituée par un employé pour offrir des services à un client qui aurait autrement été son employeur.

QUELS SONT LES DÉSAVANTAGES DE L’INCORPORATION ?
Malgré les nombreux avantages que présente la société par actions, certains désavantages doivent être pris en compte.

COÛT ET ADMINISTRATION
Ainsi, exploiter son entreprise via une société par actions implique une certaine lourdeur administrative : coûts d’incorporation, de préparation des états financiers, des déclarations de revenus, pour ne nommer que ceux-là6.

SOCIÉTÉ EXPLOITÉE ACTIVEMENT
De plus, le taux avantageux de 12,38 % dont bénéficie une société par actions est applicable aux sociétés privées contrôlées par des Canadiens sur les premiers 500 000 $ de revenu annuel d’entreprise exploitée activement, telle que cette expression est définie ci-dessus. Ainsi, au-delà du 500 000 $ de revenu d’entreprise, le taux sera de 26,5 % et dans le cas où une société génère plutôt du revenu de placement, le taux d’impôt sera supérieur, soit de 50,17 %7.

De plus, il faut souligner que de nouvelles règles fiscales sur l’imposition du revenu passif limitent quelque peu cet avantage. Ainsi, plus les revenus passifs (par exemple, les revenus d’intérêts, de location, de dividendes) de la société sont élevés, plus le montant admissible au petit taux d’imposition de la société diminue.

RÈGLEMENTS PROFESSIONNELS
Le ou la professionnel.le devrait également porter une attention à la réglementation relative à son ordre professionnel, qui peut limiter la possibilité d’exploiter sa profession par le biais d’une société par actions. En effet, certains ordres prévoient des règles particulières concernant l’actionnariat et la gestion de la société.

Pour les avocat.e.s, le Règlement sur l’exercice de la profession d’avocat en société et en multidisciplinarité permet l’exercice de la profession d’avocat au sein d’une société par actions ou d’une société en nom collectif à responsabilité limitée8.

Au final, l’exploitation d’une entreprise via une société par actions comporte de nombreux avantages. Toutefois chaque situation doit être évaluée séparément, puisque le taux d’imposition avantageux est réservé au revenu d’entreprise exploité activement, et d’autres conditions pourraient s’appliquer. Le choix d’exploiter son entreprise par le biais d’une société par actions est une décision importante et il serait judicieux de consulter un.e fiscaliste pour prendre une décision éclairée propre à votre situation.

  1. Alex THIVIERGE CÔTÉ et Charles BLOOM, « Impôt des sociétés – Incorporation d’une entreprise », dans Collection APFF – Planification financière, retraite et succession, série 1, Association de planification fiscale et financière, 2021.
  2. RAYMOND CHABOT GRANT THORNTON, « Table d’impôt 2021 » (1er août 2021), en ligne : https://www.rcgt.com/fr/planiguide/tableaux/quebec/table-dimpot
  3. Id., note 1.
  4. Marie-Hélène ROCHELEAU, « Société de services et incorporation des professionnels », dans Collection APFF – Planification financière, retraite et succession, série 1, Association de planification fiscale et financière, 2021.
  5. Id., note 4.
  6. Id., note 4.
  7. Id., note 4.
  8. Règlement sur l’exercice de la profession d’avocat en société et en multidisciplinarité, c. B-1, r. 9, art. 1.