Propriété du Métavers – La construction d’un nouvel espace digital

Comme on a pu le voir dans des articles précédents1, le Métavers reste encore un concept qui change et évolue avec chaque innovation ou lancement de produit. Bien qu’il soit possible de lister des attentes spécifiques sur la façon dont devrait fonctionner cet univers, qu’il s’agisse de son interconnectivité, de la liberté offerte à ses usager.ère.s ou de son aspect décentralisé, il semble évident que la réalité semble encore loin de répondre à de tels espoirs aujourd’hui. C’est dans ce contexte que l’on peut se demander qui sera le.la potentiel.le « propriétaire » du Métavers.

LE DÉVELOPPEMENT PERSISTANT D’UN NOUVEL UNIVERS
Malgré une apparition initiale du terme dans l’univers de la science-fiction en 1992 dans le livre « Snow Crash », la création du Métavers est devenue un objectif bien concret pour de nombreux acteurs au fil des ans qui ont cherché à venir proposer des standards ou projets pour encourager son développement collaboratif :

  • The Metaverse Roadmap Pathways to the 3D Web par l’Acceleration Studies Foundation en 2006, une des premières études publiques présentant une vision concrète de ce que pourrait être le Métavers et proposant diverses prévisions sur dix ans des technologies, applications, marchés et impacts sociaux que ce nouveau Web pourrait avoir2. Il est à cet égard intéressant de noter que l’on évoquait le Métavers comme un Web 2.0 et insistait déjà sur l’implémentation de technologies de réalité augmentée (AR) dans ce contexte;
  • Virtual World Region Agent Protocol (VWRAP)3 par l’Internet Engineering Task Force (IETF), un groupe de travail de l’IETF entre 2009 et 2011 qui avait pour objectif de définir un protocole d’avatar pour un environnement virtuel tridimensionnel collaboratif. Par l’intermédiaire de ce protocole, des usager.ère.s seraient en mesure d’interagir sous forme d’avatars tout en s’assurant que lesdits avatars n’existent au maximum qu’à un seul endroit dans un espace virtuel partagé. Le protocole aurait également ainsi permis de diviser en régions un espace virtuel pour faciliter l’équilibrage de la charge de calcul nécessaire aux fins de simuler un environnement plus important. L’objectif était donc de venir proposer un protocole de communication et de gestion des ressources indépendant permettant à des acteurs d’agir ensemble, malgré des systèmes différents;
  • Open Source Metaverse Project4, lancé en 2004 par Hugh Perkins Jorge Lima avant de devenir inactif en 2008, le projet cherchait à créer un moteur open source pour la création d’univers 3D disponible en streaming, ces espaces pouvant par la suite être interconnectés dans un seul Métavers ouvert et appuyé par des standards communs. La fin du projet fut cependant marqué par l’intérêt grandissant de la plupart des développeurs pour des solutions open source compatible avec le jeu Second Life;
  • OpenXR5, un standard open source lancé en 2019 par Khronos Group fournissant une API pour des développeurs d’applications leur permettant de s’assurer que leurs applications fonctionnent sur une grande variété d’appareils VR/AR. Ce standard est ainsi utilisé dans le Microsoft HoloLens 2, les appareils Oculus Quest ou même le casque Valve SteamVR.

LA PROPRIÉTÉ DU MÉTAVERS À TRAVERS LES BREVETS ?
Dans un même temps, de nombreux acteurs du secteur technologique ont bien évidemment entrepris des démarches pour participer à la création de ce Web3, qu’il s’agisse du lancement d’innovations en matière de réalité augmentée, réalité virtuelle ou de solutions logicielles dédiées.

Dans le cadre de ces démarches, ces intervenant.e.s ont bien évidemment cherché à venir protéger les investissements effectués pour de tels développements, notamment à travers l’obtention de brevets. On peut par exemple souligner les efforts mis en œuvre par Nvidia, Microsoft, IBM, Unity, Roblox, Epic Games et bien évidemment Meta.

Roblox a ainsi soumis une demande de brevet américain6 portant sur des méthodes et systèmes permettant à un ordinateur de générer des éléments 3D à partir d’une ou plusieurs images 2D. En s’appuyant sur des images initiales, le programme génère un maillage 3D d’un objet qui est ensuite déformé pour ressembler aux images 2D initiales. Ces éléments peuvent ainsi être rapidement créés pour être intégrés à moindres coûts dans des univers 3D et ainsi faciliter l’intégration d’objets courants dans le Métavers.

Meta est également titulaire d’un brevet américain7 concernant un anneau physique permettant à un utilisateur d’interagir avec des objets virtuels. Chaque anneau contient différents marqueurs spécifiques permettant à une console VR de déterminer avec précision la position de chaque doigt de l’utilisateur dans un espace virtuel et fournir un retour haptique afin de simuler la perception de toucher un objet. Il serait ainsi possible de venir limiter les mouvements de doigts d’un utilisateur pour simuler une surface et interconnecter réalité virtuelle et réalité physique.

Il est dans tous les cas intéressant de comprendre que chacune de ces sociétés pousse un aspect spécifique en lien avec le Métavers, qu’il s’agisse des brevets décrits plus haut ou d’événements comme des concerts ou lancements de films par Epic Games dans son jeu Fortnite ou de la création d’espaces collaboratifs hybride par Microsoft permettant à des employés de collaborer sur un même projet depuis divers endroits physiques.

VERS « UN » MÉTAVERS ?
Dans ce contexte, il faut donc bien comprendre que l’apparition d’un Métavers reste encore lointaine et impliquera des initiatives aussi bien ouvertes que privées pour arriver au développement d’un Web3 final capable de répondre à la définition large de ce concept. Chaque créateur.rice aura donc un rôle à jouer sur la forme finale du Métavers en venant insister sur les éléments ou aspects qui lui sembleront le plus importants. Dans ce contexte, il semble donc peu probable que l’on voit apparaître un.e seul.e propriétaire du Métavers mais bien de multiples titulaires d’éléments le constituant, comme cela peut être le cas avec notre Web 2.0 actuel.

  1. Voir notamment Jules Gaudin et Erwan Jonchères, « Le Métavers : Quelle relation entre nos codes de lois et ces univers codés? » (février 2022), Extrajudiciaire, en ligne : https://extrajudiciaire.ca/wp-content/uploads/2022/03/22939-JBM-Extrajudiciaire_Fev2022-V04_FINALE-_liens.pdf et « Le Métavers, nouvel espace de confrontation des droits » (avril 2022), Extrajudiciaire, en ligne : https://extrajudiciaire.ca/wp-content/uploads/2022/05/23269-JBM-Extrajudiciaire_Avr2022-V04_LIENS-1.pdf
  2. Acceleration Studies Foundation, The Metaverse Roadmap Pathways to the 3D Web, 2006, en ligne : https://www.metaverseroadmap.org/index.html
  3. Internet Engineering Task Force (IETF), Virtual World Region Agent Protocol, 2009-2011, en ligne: https://datatracker.ietf.org/wg/vwrap/about/
  4. Hugh Perkins and Jorge Lima, Open Source Metaverse project, 2006, en ligne : http://metaverse.sourceforge.net/
  5. GitHub de Khronos Group, OpenXR, en ligne : https://github.com/KhronosGroup/OpenXR-SDK-Source
  6. Roblox Corp, 3D asset generation from 2D images, US20220068007AI
  7. Facebook Technologies LLC, Wearable device with fiducial markers in virtual reality, US11068057B1